01 décembre 2006

Comment interviewer Sarkozy: la leçon d'Elie Cohen

Alors que la grande majorité des médias ont une attitude plus que complaisante avec le candidat Sarkozy, c'est un économiste qui a fait disjoncter le ministre de l'intérieur de ses gonds lors de son passage sur France 2 (31 novembre).

Bravo donc à l'économiste qui a donné une vraie leçon de journalisme... à un représentant du Nouvel-Obs, Serge Raffy, qui quelques instants auparavant s'était montré d'une rare "complaisance" (pour écrire poliment) avec le candidat UMP sur les questions de sécurité.

Au point que l'animatrice de l'émission, Arlette Chabot (directrice de l'information de France 2) a tenté de raccourcir l'échange, seul moment fort de l'émission.

Elie COHEN
J’ai tout entendu et en plus j’ai lu le programme de l’UMP et les 577 propositions du programme de l’UMP. Ce programme est d’une grande richesse, il est très dense, il y a beaucoup de propositions intéressantes. Mais je me suis amusé en même temps à calculer un petit peu et à noter en marge, parce qu’il n’y a pas d’évaluation et il n’y a pas de hiérarchisation. Et donc on a beaucoup de mal, comme je suis un homme de chiffres, j’aimerais quand même savoir quelle est la crédibilité et la viabilité de tout ça. En ne calculant pas tout, j’arrive assez rapidement déjà 45 milliards d’euros. Ce qui fait à peu près 3 points de PIB. 3 points de richesse nationale, comme on a déjà un déficit de 2,5 de PIB, j’aimerais savoir comment en année terminale de votre éventuel quinquennat, vous allez équilibrer les comptes avec 3 points de dépenses supplémentaires et 2,5 points hérités.
Nicolas SARKOZY
D’abord je conteste, pardon, non pas votre compétence qui est bien reconnue, mais les chiffres que vous donnez. Je vais prendre un certain nombre d’exemples. Je propose une véritable révolution…
Elie COHEN
Juste un exemple pour vous montrer combien, je vous approuve sur certains de vos choix. Sur l’enseignement supérieur et sur la recherche vous proposez des choses très intéressantes, vous proposez de doubler le budget de l’enseignement et d’augmenter de 50 % le budget de la recherche. L’enseignant chercheur que je suis, ne peut être que ravi compte tenu de la situation du pays. Mais ça, ça fait déjà 10 milliards d’euros.
Nicolas SARKOZY
Non, je m’en explique, croyez-moi, il est aussi petit que le budget de la justice. Ce n’est pas le plus préoccupant…
Elie COHEN
Mais ça fait quand même 10 milliards d’euros.
Nicolas SARKOZY
Prenons l’exemple d’une autre dépense que je propose. Je propose un changement considérable, celle de mettre un terme aux orphelins de 16 heures, c'est-à-dire que je propose à toutes les familles de France de pouvoir laisser leurs enfants entre 16 heures et 18 heures à l’école pour que les mamans puissent après le travail venir les chercher, une fois les leçons apprises, dans le cadre d’études encadrées. On va me dire ça coûte cher. Je conteste d’abord parce que personne ne chiffre ce que ça coûte de laisser des jeunes dans la rue apprendre la loi de la rue et les économies que nous ferons avec des enfants qui rentreront à la maison les devoirs faits, au lieu de rester seul chez eux, au lieu de rester seul dans la rue. Deuxièmement, j’affirme que le pouvoir d’achat qui sera ainsi délivré aux enseignants qui le méritent par ailleurs, ça sera bon pour l’économie. Et enfin j’ai proposé deux pistes d’économies considérables, je suis le seul à avoir proposé le non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite, les fonctionnaires, qui l’a fait monsieur COHEN ? Qui a proposé une mesure d’économie aussi importante que celle-ci ? Personne. Et d’ailleurs je demanderais…
Elie COHEN
40 000 fonctionnaires en moins par an, ce n’est pas du tout à la hauteur des enveloppes financières que j’ai indiquées.
Nicolas SARKOZY
C’est exact sur l’année première, mais comme vous l’avez noté, ce sont des économies qui s’additionnent, puisque comme l’Etat n’a pas de Sécurité sociale, il est son propre assureur, l’Etat quand il engage un fonctionnaire, ne l’engage pas pour la durée de sa vie professionnelle, mais pour la durée de sa vie tout court. C'est-à-dire quand on décide de ne pas remplacer tous les départs à la retraite, on économise non pas pour 45 ans de vie active, mais pour 70 ans.
Elie COHEN
Non, non, je sais bien. En plus il y a des tas d’autres choses très bien, vous proposez de n’augmenter la dépense…
Nicolas SARKOZY
Je vais vous proposer une carte monsieur COHEN…
Elie COHEN
Vous nous proposez d’augmenter la dépense budgétaire que de 0 % par an, donc comment réconciliez-vous, ces deux perspectives que je viens d’indiquer…
Nicolas SARKOZY
Oui, oui, c’est très simple…
Elie COHEN
D’un côté toute une série de nouveaux chantiers de dépenses légitimes, la justice, l’éducation, la sécurité etc…
Nicolas SARKOZY
C’est très simple….
Elie COHEN
Et en même temps équilibre budgétaire zéro, de progression de la dépense publique.
Nicolas SARKOZY
Très simple, je veux dire autre chose…
Elie COHEN
Et en même temps vous voulez diminuer la dette publique. Puisque vous voulez passer d’un niveau de dette publique de 65 % du PIB…
Nicolas SARKOZY
Il n’y a pas d’autre choix.
Elie COHEN
A 60 %, j’avoue, je ne vois pas comment tout ça, se met ensemble ?
Nicolas SARKOZY
Mais parce qu’on a besoin de passer un peu plus de temps ensemble.
Elie COHEN
Alors expliquez-moi.
Arlette CHABOT
Vous reviendrez, vous reviendrez tous les deux, on va prendre un abonnement les six mois qui viennent.
Nicolas SARKOZY
D’abord vous n’avez pas tout retenu…
Elie COHEN
Si, si, si.
Nicolas SARKOZY
D’abord j’ai proposé la suppression de tous les organismes qui ne servent à rien.
Elie COHEN
Ça ne coûte rien ces choses !
Nicolas SARKOZY
Non, mais à force de dire, que tout ça ne coûte rien, à force de dire que tout ça ne coûte rien, tout ça finit par coûter beaucoup. Troisièmement, j’ai proposé de mettre en œuvre une véritable stratégie, de traque de la fraude. Parce que c’est un problème français, considérable, celle qui consiste par une forme de lâcheté, à refuser de contrôler un certain nombre de prestations, où le coulage est immense et où on utilise mal l’argent des Français. Enfin j’ai proposé une mesure qui est considérable et qui est courageuse, celle de créer pour l’Assurance maladie une franchise. Comme dans toute assurance, dites-moi, si ça ce n’est pas des pistes d’économie, je ne m’y connais pas. Ensuite, j’ai demandé qu’on audite systématiquement toutes les dépenses de l’Etat, je prends un exemple. La formation professionnelle, des milliards, des dizaines de milliards d’euros qui sont aujourd’hui pour la plupart engagés en pure perte. Je veux revoir ces programmes, j’ai parlé tout à l’heure de l’argent faramineux dépensé pour permettre aux gens de partir en préretraite. Mais les gens, ils ne veulent pas arrêter de travailler à 52 ans, ils veulent au contraire continuer à travailler. Je propose d’activer toutes ces dépenses. Je vous garantis monsieur COHEN, que c’est possible et en tout cas, je n’ai pas voulu moi m’inscrire dans une stratégie de la défaite qui consiste à dire comme on fait trop souvent, en France, on a un regard comptable, moyennant quoi, à l’arrivée, on n’a pas de croissance, on n’a pas d’investissement, on fait des économiques en supprimant les dépenses d’investissements et on ne touchant pas aux dépenses de fonctionnement. Et on accumule les déficits. Je veux changer de logique. Je veux créer en France, les conditions de la croissance. Pourquoi se fait-il et comment se fait-il, que nous ayons sur les dix dernières années, 1 % de croissance en moins, que les Américains, 1 % de croissance en moins que les Anglais…
Arlette CHABOT
0 % sur le trimestre qui vient de s’achever de croissance ?
Nicolas SARKOZY
J’ajoute, j’ajoute qu’avec le crédit hypothécaire, je créais une possibilité fantastique de relance. Pourquoi ? Parce que le prix de l’immobilier a augmenté. Si je permets aux Français d’emprunter en fonction du prix de l’immobilier, comme le prix de l’immobilier a augmenté, la masse des emprunts possibles, va augmenter. Quel est le problème de la France ? L’Etat est trop endetté, les Français ne le sont pas assez ? J’aimerais qu’on déculpabilise les Français, face à l’endettement, une économique moderne, c’est une économique où les gens font des projets qu’on arrête de les pénaliser, qu’on arrête cette société triste, que les jeunes puissent rêver d’être propriétaire de leur logement, c’est possible monsieur COHEN.
Elie COHEN
Donc j’attends le chiffrage et la hiérarchisation des objectifs…
Nicolas SARKOZY
Mais je vais même vous dire mieux, la semaine prochaine je le publierais.
Elie COHEN
Très bien. Alors je voudrais vous poser une autre question, parmi les mesures, fiscales que vous proposez…
Nicolas SARKOZY
Une semaine après mon entrée en campagne.
Elie COHEN
Non, parmi les mesures que vous proposez….
Nicolas SARKOZY
J’espère qu’on va être aussi exigeant avec tout le monde.
Elie COHEN
Certainement, certainement, parmi les mesures que vous proposez, notamment en matière fiscale, l’une de vos grandes priorités, c’est l’exonération des successions sur, je crois que vous avez appelé l’œuvre d’une vie de travail ou parfois dans vos discours vous parlez de petites et moyennes successions…
Nicolas SARKOZY
Oui, mais je vais m’en expliquer.
Elie COHEN
C’est une mesure qui même avec des hypothèses assez conservatoires conduit à vous priver d’une ressource de 4 milliards et demi d’euros. Pourquoi vous faites de cela une priorité, alors qu’il s’agit là typiquement d’une mesure fiscale, qui ne va pas dans le sens de la stimulation économique moderne que vous souhaitiez ?
Nicolas SARKOZY
Alors je m’en explique. Parce que j’y crois beaucoup. J’y crois beaucoup pourquoi ? Parce que je crois en la famille. Et je crois dans le travail. Et je veux dire aux Français quand vous avez travaillé toute votre vie, à la sueur de votre front, il est normal de pouvoir laisser à ses enfants en franchise d’impôts ce qu’on a eu tant de mal à gagner et sur lequel par ailleurs on a payé l’impôt à d’innombrables reprises. Ecoutez qu’est-ce qui donne du sens à la vie ? Si ce n’est d’espérer que ses enfants commencent un peu plus haut que soi-même. Or quelle est cette société qui ne croit ni au travail, ni à la famille ? ! Il y a eu un grand débat l’autre jour au groupe UMP, pour savoir s’il fallait maintenir les droits de succession entre le mari et la femme quand il y avait un des deux qui mourait. Alors moyennant quoi, au nom de la famille on travaille ensemble, on doit payer les successions quand il y en a un qui part, entre mari et femme et puis quand la femme part aussi, on doit payer des successions avec les enfants. Mais moi, je conteste cette idée et je propose, je propose…
Elie COHEN
Juste un mot, non c’est juste sur les priorités, sur l’ISF, par exemple…
Arlette CHABOT
Attendez, attendez…
Nicolas SARKOZY
Non, non, mais je veux terminer là-dessus. Je veux dire aux Français qui ont travaillé, qu’ils pourront laisser en franchise d’impôts le produit d’une vie de travail. S’agissant de l’ISF, moi, je pense que c’est normal que quand on paie, quand on gagne plus, on paie plus d’impôts.
Elie COHEN
Vous nous avez expliquez tout à l’heure que les talents partaient, que vous ne vous résignez pas à ce départ de tous ceux qui ont acquis des compétences en France, qui se sont parfois, qui ont constitué leur outil de travail en France, et puis qui quitte la France pour échapper à l’ISF.
Nicolas SARKOZY
Mais monsieur COHEN, quelle est la contradiction entre ce que je dis ? Au contraire, j’essaye de considérer l’ensemble des 62 millions d’habitants sur le problème du capital. Arrêtons d’évoquer le problème du capital uniquement sur les 500 000 personnes. C’est un problème, j’ai un certain nombre de propositions, qui paye l’ISF. Le problème du capital se pose également pour la personne qui veut laisser à ses enfants le produit. Et pourquoi je n’aurais pas le droit de le faire ? Au nom du travail et au nom de la famille. C’est quand même extravagant de se dire qu’on travaille toute sa vie, qu’on paye des impôts sur ce qu’on a gagné, qu’on paye des impôts sur ce qu’on achète, et en plus on considère normal de payer des impôts quand on passe ce qui a été purgé par l’impôt en quelque sorte, de la génération des parents à la génération des enfants.
Arlette CHABOT
On dit que c’est une mesure pour les riches ?
Nicolas SARKOZY
C’est pas du tout une mesure pour les riches, c’est une mesure pour ceux qui ont travaillé et qui n’ont pas à s’excuser de ne pas avoir été au chômage, de ne pas avoir demandé le RMI et d’avoir construit beaucoup de richesses dans leur vie. C’est une mesure qui concerne 90 % des Français.
Arlette CHABOT
Alors je remercie Elie COHEN qui reviendra vous revoir, parce qu’on va vous revoir dans les cinq mois qui viennent. On va réduire un peu parce que sinon on va passer la nuit ensemble, ce qui n’est pas forcément désagréable mais quand même…